dimanche 11 janvier 2015

Une minute de silence...

Après l'attaque sordide contre le magazine Charlie Hebdo, nous voilà responsables de faire respecter une minute de silence en classe. C'est aussi ça être prof.

Mais ce jeudi 8 janvier, j'ai la gorge nouée, je ne sais pas si je suis prête à retrouver mes élèves, encore moins si je suis prête à les entendre.
À Kévina, aucun d'entre nous ne garde un bon souvenir de ce que nous avons pu entendre au moment de faire respecter une minute de silence après Toulouse et Montauban.

11h35. Il fait sombre dans ma salle de classe. Les 23 élèves de 4ème avec qui j'ai cours sont tous présents. Même les plus agités. Ils ont enlevé leur blouson, leur bonnet, et se sont installés dans le vacarme dont ils ont le secret.

Quand il m'ont vue prendre une chaise et m'asseoir, ils ont su que nous allions parler des événements de la veille. Nul besoin de préciser que la majorité pratique l'islam. Nul besoin de préciser que je soigne chaque syllabe que je m'apprête à prononcer autant que j'appréhende ce qu'eux vont dire.

Je leur annonce dès le départ que suite aux derniers événements nous respecterons une minute de silence, à midi, comme le fera l'ensemble des élèves de France et l'ensemble des Français. Je leur laisse le temps de faire un retour sur les derniers événements. Ils les relatent dans l'agitation et les commentaires ne tardent pas à fuser:

"Ouais mais leurs dessins c'était chaud quand même!"
"On dessine pas le prophète, ça se fait pas!"
"Ils ont cherché aussi, depuis le temps qu'on les menace ils n'avaient qu'à s'arrêter!"

"Vas-y toi tu crois qu'Allah il avait besoin d'eux pour venger le prophète?" 
"Ils avaient pas le droit de faire ça, tuer c'est pécher!" 
"Ils [les tueurs] nous ont sali le Coran!" 
"T'aimerais qu'on te bute parce que t'as dit un truc, toi?"

Ils se raisonnent, je les aide un peu.
Lorsqu'ils ont à peu près tout dit, je leur demande un résumé à notre façon. 
Qui a fait quoi, pourquoi suivi d'un commentaire.

Des Français ont tué des Français, pour des dessins. C'est chaud.


Très vite, l'heure de faire tous ensemble une minute de silence. Je leur rappelle que c'est un instant de commémoration entre nous tous, quelles que soient nos convictions, quelle que soit notre religion, parce que l'un de nos droits fondamentaux vient d'être bafoué.

"Madame ça commence quand? - Voilà, ça commence maintenant."

Une minute, complète, de silence... total. 

J'en vois bien deux ou trois qui ont du mal à tenir en place, seulement ils se taisent. Surtout, ils se taisent.

12h01 "Je vous remercie tous." Et vraiment, MERCI.

Parce que si les débats ont repris de plus belle, s'il a fallu faire une explication de la caricature qu'ils ont vu circuler le plus sur les réseaux sociaux (celle où ils pensaient être traités de cons), s'il a fallu les rassurer sur le fait que nous ne confondons pas tous Arabe et musulman, musulman et intégriste...

Au moment de se rassembler dans le silence pour se recueillir et rendre hommage à des victimes de l'intolérance, nous étions tous ensemble. Nous étions tous Charlie... au moins un peu.